1. L’entrée en scène : la rupture du cadre comme acte fondateur
Le récit s’ouvre sur une scène anodine, la signature d’un bail qui se transforme en moment fondateur de la dynamique d’emprise.L’arrivée anticipée de la future locataire à 10h00, alors que le rendez-vous était fixé à 15h00, constitue une transgression du cadre, un test de la limite et un premier acte de pouvoir.
Ce mécanisme correspond à ce que Jean-Claude Maes (2016) appelle une « rupture douce du contrat psychologique » : le manipulateur introduit une anomalie dans la relation sans provoquer de conflit ouvert, mais en observant la réaction de l’autre.
👉 S’il constate de la tolérance, il sait que la porte est entrouverte.
C’est le moment où le cadre symbolique vacille : le professionnel n’est plus dans la position de celui qui fixe les règles, mais dans celle de celui qui s’adapte.
Cette adaptation devient dès lors le levier principal de la manipulation.
« Le manipulateur ne teste pas la résistance, il teste la souplesse. »
— M.-F. Hirigoyen, 1998, Le harcèlement moral.
2. Le glissement psychique : de la confusion à la culpabilité
Face à la transgression, la victime potentielle est surprise, puis déstabilisée.
Elle tente de restaurer le cadre (« Le rendez-vous était à 15h00 »), mais la réponse de la manipulatrice opère un renversement subtil des rôles.
Trois mécanismes psychologiques se mettent en place :
1. La minimisation :
La manipulatrice nie la gravité du geste en invoquant une erreur ou une incompréhension.
2. L’inversion de la responsabilité :
Elle laisse entendre que le malentendu vient peut-être de l’autre (« Peut-être n’ai-je pas eu de réponse à mon message… »).
3. La culpabilisation douce :
Elle se présente comme conciliante (« Si vous préférez, je peux revenir plus tard… »), induisant chez l’autre une dissonance cognitive : celui qui défend sa règle devient celui qui “exagère”.
C’est ce que la littérature clinique appelle un « brouillage de la réalité partagée » une forme d’influence où la perception de la scène devient incertaine, confuse, indécidable.
Ce mécanisme s’apparente au gaslighting (Stern, 2018), où la victime doute de la validité de sa propre lecture de la situation.
« L’agresseur n’impose pas sa vérité, il altère la vôtre. »
— Robin Stern, 2018, The Gaslight Effect.
3. L’épuisement comme stratégie d’emprise
Le passage clé du texte — « Il ne vous convainc pas… il vous épuise. » — traduit avec justesse le mécanisme central de la manipulation psychique : l’usure cognitive et émotionnelle.
À force de micro-transgressions, de doubles messages et d’ambiguïtés, la victime n’a plus la force psychique d’analyser ou de résister.
Elle cherche la paix, non la justice.
Elle cède pour se préserver, ce qui renforce paradoxalement le pouvoir du manipulateur.
Marie-France Hirigoyen (1998) parle de fatigue morale : un processus d’attaque insidieuse où la victime perd son énergie, sa confiance et son jugement, sans jamais identifier de coupable clairement défini.
4. Les signaux ignorés : le symbolique qui parle
L’épisode relate un incident technique : l’imprimante qui refuse d’imprimer le bail, la signature électronique qui échoue, perçu comme une alerte symbolique.
Ce détail, souvent observé dans la clinique de l’emprise, correspond à ce que la psychanalyse appelle la “résistance du réel” (Freud, 1925).
Quand le psychisme d’un sujet ignore un avertissement conscient (une intuition, un malaise), le réel s’en charge : il “coince”, il “résiste”, il “retarde”.
Mais le sujet, épuisé et confus, choisit malgré tout d’avancer.
C’est le mécanisme d’annulation du pressentiment : la part lucide de soi-même est étouffée au nom de la rationalité.
5. L’installation de l’escalade : du lien au contrôle
Une fois la signature obtenue, la relation se déplace sur un autre terrain : celui du contrôle par la demande.
Les messages, les requêtes, les sollicitations incessantes instaurent une dépendance inversée : la victime devient au service du manipulateur, dans une dynamique d’hyperdisponibilité.
On retrouve ici le principe du « renversement du soin » (Chabert, 2003) : la victime, souvent animée d’une bienveillance sincère, se met à réparer, aider, comprendre, là où elle devrait se protéger.
Ce glissement vers la servitude volontaire est au cœur du processus d’emprise : le sujet s’épuise en cherchant à apaiser ce qui ne peut l’être, dans l’illusion qu’il pourra un jour satisfaire l’autre.
6. Le point de bascule : l’éveil et la résistance
La « parenthèse espagnole » marque un moment de répit psychique.
L’éloignement géographique permet la désactivation du lien d’influence, révélant un mécanisme bien connu dans la clinique du trauma relationnel : le retour du discernement par la distance (Cyrulnik, 2001).
C’est dans ce détachement temporaire que le sujet reprend contact avec son autonomie psychique, sa pensée critique et son ressenti corporel.
La coupure, ici, n’est pas une fuite, mais une reconnexion à soi.
Conclusion clinique
L’épisode 2 illustre avec précision la progression silencieuse de l’emprise psychologique, depuis la première transgression du cadre jusqu’à l’épuisement moral et la perte du discernement.
Les mécanismes majeurs en jeu sont :
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la transgression douce du cadre (test du pouvoir),
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la culpabilisation inversée (inversion de la responsabilité),
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la confusion cognitive (gaslighting),
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l’épuisement psychique (fatigue morale),
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et enfin la prise de conscience différée (retour du réel et réappropriation du cadre).
C’est une illustration clinique exemplaire du processus décrit par Hirigoyen (1998) et repris par Estelle Dumas (2019) dans La manipulation ordinaire, où l’emprise se construit non par des actes violents, mais par une succession de micro-violations du lien et du cadre.
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